
Fontaine du marché Maisonneuve photo de Thamuse
J'ai situé mon histoire dans un lieu que je connais bien, le marché Maisonneuve, comme un hommage au quartier de mon enfance, un quartier que l'on dit défavorisé. Allez y marcher, vous découvrirez différentes facettes de ce coin de ville où le passé et le présent se côtoient autant dans la douceur que dans l'amertume.
Pour en savoir plus, consulter le lien suivant
Histoire d'un marché
Elle
entre par la porte des employés. Tout est silencieux. Les sacs de
farine étalent au plancher leurs formes généreuses comme des
lutteurs fourbus. Encore une fois, elle est la première arrivée au
travail.
Vendeuse
de mille-feuilles, quel destin comique pour une amoureuse des mots !
C'est risible, mais c'est bien comme ça. Elle aime ce qu'elle fait
malgré les sarcasmes de ses anciens camarades de classe. Le chouchou
du professeur qui brasse des choux à la crème...Vaut mieux brasser
ça que de la m... comme aurait dit son père.
Tout à
l'heure, les autres vont arriver, sa tribu de pâtissiers, boulangers,
torréfacteurs, préposés aux sandwichs et aux salades. On
commencera par s'éveiller lentement dans l'arôme du café,
l'échange des derniers potins, puis ça sera le rush. Tout Hochelaga
se pressera vers le comptoir au centre du marché.
Puis
viendra la bienheureuse accalmie de 2 h. Elle prendra le temps de
souffler un peu dans les embruns de la fontaine, corps vanné offert
au soleil.
Ça
fait déjà deux mois qu'elle a tourné le dos à son ancienne vie.
Ici, elle se sent simple, vivante. Elle fabrique des douceurs et cela
l'allège de tout l'amer qu'elle a laissé derrière.
Elle a
trouvé un petit appartement. Tout nettoyé, sorti les vieux prélarts, dégagé
les belles lattes du plancher. Elle a réparé les carreaux brisés,
peint les pièces blanches avec des accents de couleurs primaires.
Son
père a guidé les travaux à distance. Le temps de tout terminer,
elle habite encore chez ses parents. Elle part tôt et revient pour
le souper. Il est dans son fauteuil près de la fenêtre. Elle lui
raconte les gestes et les accomplissements. Son regard sur elle est
tendre et lumineux. Lui comprend qu'elle doit partir, voler de ses
propres ailes hors du nid, elle la petite dernière.
D'abord
il lui a tout balancé: ses craintes et ses pourquoi.
« C'est pour
coucher c'est ça, c'est parce que tu veux coucher !
- Ben
oui p'pa t'as tout compris. À partir de juillet j'ai déjà mon
agenda de rempli, un chaque soir !
- Mais
pourquoi tu veux t'en aller dans la misère ? Ici t'es nourrie,
logée. Attends d'avoir des comptes à payer !
- J'ai
trouvé du travail.
- Ah
oui, pis tes études ?
- J'ai
besoin de partir, travailler, savoir ce que je veux. »
Ce
qu'elle veut c'est quitter, il le sait. L'étau qui se resserre sur
elle, cette détresse qu'elle ne veut pas être seule à porter. En
une année les trois enfants partiront. Son frère prendra femme, sa
soeur prendra mari, elle, prendra la poudre d'escampette, la clef des
champs. Elle part pour sauver sa vie, avec, dans ses bagages la
bénédiction paternelle et la rancoeur maternelle et dans le dos un
sac plein de fantômes tirés de placards vidés dans l'urgence.
Vous êtes cordialement invités au
vernissage de l'exposition des oeuvres picturales
et littéraires de Danielle Beaudet qui aura lieu le jeudi 17 mai à partir de 17h.30 dans les
locaux du RPSS situé au 5345
Boul. l’Assomption, Montréal, local 200.
Toutes les ventes de cette soirée
seront versées au RPSS (regroupement des
professionnels pour la santé du sein).Madame Beaudet,
membre du RPSS, désire ainsi remercier cet
organisme pour le support offert aux femmes qui,
comme elle, ont à vivre avec le cancer du sein.
Veuillez confirmer votre présence
avant le 7 mai par courriel rpss@videotron.qc.ca ou par téléphone au 514 448-1470
Je tiens aussi à remercier Anne Sabourin, psychologue, qui m'a proposé ce projet. C'est un très ancien rêve que je réalise grâce à elle. Merci !

encre et crayons 1980
Amanda
Bourdon joue de l'accordéon. Des chansons de marin qui lui
rappellent son village au bord du fleuve. Des chansons grivoises pour
le plaisir malin de voir rougir ses brus.
Amanda
a le coeur large, bien planté dans un corps solide et exigeant.
Elle n'a pas peur des mots: son Joseph elle l'a pris autant de fois
qu'elle l'a voulu. C'est une fanfaronne qui fait l'école
buissonnière au devoir conjugal. Dans cette belle province abrillée
jusqu'au cou dans la sainte flanelle et les indulgences plénières,
Amanda la rebelle déclare son désir au haut et fort: ses dévotions
elle les fait à sa manière...même chose pour les exploits
sportifs...Ah ! Son Joseph si beau le matin des noces dans l'église
de Lanoraie. Si fort, les manches retroussées à décharger les
bateaux. Ah ! Les beaux voyages qu'ils ont faits, partis l'un vers
l'autre dans l'océan du lit défait. Ah! Ce court temps où elle
n'avait pas encore à se partager entre les bras de Joseph et les
enfants à faire pousser...onze garçons et deux filles...une trâlée
de nez à moucher,de bouches à nourrir. Une meute turbulente,
envahissante, à diriger seule pendant que son homme se crevait à la
tâche.
Amanda
Bourdon n'a pas été la meilleure mère, ni la meilleure épouse,
mais son ardeur elle l'a assumé. Elle les a tous rendus dans leur
grosseur pour le pire et le moins pire...et le meilleur, fuyant comme
de l'eau au creux de la main. C'est
une force de la nature. Elle peut, d'un mot, provoquer des tornades
et faire gronder le tonnerre. Mais est-ce sa faute si Joseph a le
désir collé à la colère, l'un aiguisant l'autre...? Ah les
éclairs dans ses yeux et quel cataclysme quand, la maison vidée de
ses enfants, après les cris et les assiettes fracassées, la tempête
allait finir où elle pouvait..Mais toujours dans le même émoi:
celui du début, celui de leur jeunesse.
Amanda,
c'est toute une femme. Être mère, être épouse dans la béate
résignation, dans l'extinction de ce qui la rend ardente non jamais,
non. Le temps s'en chargera bien. La vieillesse la prendra elle aussi
comme les autres. Mais pas avant son temps, non pas avant.
Amanda
Bourdon joue de l'accordéon pour se consoler de la vie qui va trop
vite, du plaisir qui coûte si cher, de tous les rêves échoués ici
à Montréal où le fleuve se cache la face, perdu dans une forêt de
cheminées crachant des humeurs mauvaises.
Amanda
tire une bouffée de sa pipe. Elle regarde la fumée danser et
s'évanouir. Elle se racle la gorge, s'envoie un petit gin pendant
que l'accordéon repose sur sa cuisse comme un animal essoufflé.
Depuis que Joseph est dans la terre, son coeur fait des siennes, ses
jambes ne la supportent plus. Allez, encore un air pour engourdir le
mal, faire revenir à la surface de la mémoire les joies et des
peines englouties, emboîtées l'une dans l'autre comme des noyés
dans un dernier embrassement :
L'amour
est un petit bateau
qui
s'en va joyeux sur l'onde
voguant
vers des pays nouveaux
Nos
deux coeurs
y
feront le tour du monde
…
Adieu
notre petit bateau
plus
d'amour
plus
rien que des flots.
C'est la nuit
et
déjà l'orage gronde.
Adieu bonheur, beaux jours
souvenirs,tendres
bécots
Adieu notre petit bateau
Charles
Trenet 1937
Amanda
Bourdon ne joue plus. Son accordéon s'est exilé en haut de
l'armoire, sur la tablette à chapeaux. Aujourd'hui elle reçoit de
la visite. On lui a mis sa belle jaquette bleue, coiffé ses cheveux,
ajouté un oreiller pour bien la caler dans son lit qu'elle ne quitte
plus. Marcel, son plus fin et sa femme viennent lui présenter leur
petite dernière, née il y a un mois à peine à la même date
qu'elle. C'est comme un cadeau de Noël avec un peu d'avance, ce
petit paquet de vie serrée entre ses bras. Depuis longtemps déjà,
elle a perdu le compte des petits-enfants, mais celle-là... elle
sera la dernière... de son vivant.