Le quartier de mon enfance

Par danielle, le 07 mai 2012aucun commentaireLire la suite

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Fontaine du marché Maisonneuve                                           photo de Thamuse 


J'ai situé mon histoire dans un lieu que je connais bien, le marché Maisonneuve, comme un hommage au quartier de mon enfance, un quartier que l'on dit défavorisé. Allez y marcher,  vous découvrirez différentes facettes de ce coin de ville où le passé et le présent se côtoient autant dans la douceur que dans l'amertume.

Pour en savoir plus, consulter le lien suivant  Histoire d'un marché
                                                                                

Doux-amer

Par danielle, le 07 mai 2012aucun commentaireLire la suite

Elle entre par la porte des employés. Tout est silencieux. Les sacs de farine étalent au plancher leurs formes généreuses comme des lutteurs fourbus. Encore une fois, elle est la première arrivée au travail.


Vendeuse de mille-feuilles, quel destin comique pour une amoureuse des mots ! C'est risible, mais c'est bien comme ça. Elle aime ce qu'elle fait malgré les sarcasmes de ses anciens camarades de classe. Le chouchou du professeur qui brasse des choux à la crème...Vaut mieux brasser ça que de la m... comme aurait dit son père.


Tout à l'heure, les autres vont arriver, sa tribu de pâtissiers, boulangers, torréfacteurs, préposés aux sandwichs et aux salades. On commencera par s'éveiller lentement dans l'arôme du café, l'échange des derniers potins, puis ça sera le rush. Tout Hochelaga se pressera vers le comptoir au centre du marché.


Puis viendra la bienheureuse accalmie de 2 h. Elle prendra le temps de souffler un peu dans les embruns de la fontaine, corps vanné offert au soleil.


Ça fait déjà deux mois qu'elle a tourné le dos à son ancienne vie. Ici, elle se sent simple, vivante. Elle fabrique des douceurs et cela l'allège de tout l'amer qu'elle a laissé derrière.

Elle a trouvé un petit appartement. Tout nettoyé, sorti les vieux prélarts, dégagé les belles lattes du plancher. Elle a réparé les carreaux brisés, peint les pièces blanches avec des accents de couleurs primaires.


Son père a guidé les travaux à distance. Le temps de tout terminer, elle habite encore chez ses parents. Elle part tôt et revient pour le souper. Il est dans son fauteuil près de la fenêtre. Elle lui raconte les gestes et les accomplissements. Son regard sur elle est tendre et lumineux. Lui comprend qu'elle doit partir, voler de ses propres ailes hors du nid, elle la petite dernière.


D'abord il lui a tout balancé: ses craintes et ses pourquoi.

« C'est pour coucher c'est ça, c'est parce que tu veux coucher !

- Ben oui p'pa t'as tout compris. À partir de juillet j'ai déjà mon agenda de rempli, un chaque soir !

- Mais pourquoi tu veux t'en aller dans la misère ? Ici t'es nourrie, logée. Attends d'avoir des comptes à payer !
- J'ai trouvé du travail.

- Ah oui, pis tes études ?

- J'ai besoin de partir, travailler, savoir ce que je veux. »

Ce qu'elle veut c'est quitter, il le sait. L'étau qui se resserre sur elle, cette détresse qu'elle ne veut pas être seule à porter. En une année les trois enfants partiront. Son frère prendra femme, sa soeur prendra mari, elle, prendra la poudre d'escampette, la clef des champs. Elle part pour sauver sa vie, avec, dans ses bagages la bénédiction paternelle et la rancoeur maternelle et dans le dos un sac plein de fantômes tirés de placards vidés dans l'urgence.



Une invitation

Par danielle, le 25 avril 20124 commentairesLire la suite

Vous êtes cordialement invités au vernissage de l'exposition des oeuvres picturales et littéraires de Danielle Beaudet qui aura lieu le jeudi 17 mai à partir de 17h.30 dans les locaux du RPSS situé au 5345 Boul. l’Assomption, Montréal, local 200.

Toutes les ventes de cette soirée seront versées au RPSS (regroupement des professionnels pour la santé du sein).Madame Beaudet, membre du RPSS, désire ainsi remercier cet organisme pour le support offert aux femmes qui, comme elle, ont à vivre avec le cancer du sein.

Veuillez confirmer votre présence avant le 7 mai par courriel rpss@videotron.qc.ca ou par téléphone au 514 448-1470


Je tiens aussi à remercier Anne Sabourin, psychologue, qui m'a proposé ce projet. C'est un très ancien rêve que je réalise grâce à elle. Merci !


L'accordéon

Par danielle, le 23 avril 2012aucun commentaireLire la suite


encre et crayons                                    1980


Grand-mère Amanda

Par danielle, le 23 avril 2012aucun commentaireLire la suite


Amanda Bourdon joue de l'accordéon. Des chansons de marin qui lui rappellent son village au bord du fleuve. Des chansons grivoises pour le plaisir malin de voir rougir ses brus.


Amanda a le coeur large, bien planté dans un corps solide et exigeant. Elle n'a pas peur des mots: son Joseph elle l'a pris autant de fois qu'elle l'a voulu. C'est une fanfaronne qui fait l'école buissonnière au devoir conjugal. Dans cette belle province abrillée jusqu'au cou dans la sainte flanelle et les indulgences plénières, Amanda la rebelle déclare son désir au haut et fort: ses dévotions elle les fait à sa manière...même chose pour les exploits sportifs...Ah ! Son Joseph si beau le matin des noces dans l'église de Lanoraie. Si fort, les manches retroussées à décharger les bateaux. Ah ! Les beaux voyages qu'ils ont faits, partis l'un vers l'autre dans l'océan du lit défait. Ah! Ce court temps où elle n'avait pas encore à se partager entre les bras de Joseph et les enfants à faire pousser...onze garçons et deux filles...une trâlée de nez à moucher,de bouches à nourrir. Une meute turbulente, envahissante, à diriger seule pendant que son homme se crevait à la tâche.


Amanda Bourdon n'a pas été la meilleure mère, ni la meilleure épouse, mais son ardeur elle l'a assumé. Elle les a tous rendus dans leur grosseur pour le pire et le moins pire...et le meilleur, fuyant comme de l'eau au creux de la main. C'est une force de la nature. Elle peut, d'un mot, provoquer des tornades et faire gronder le tonnerre. Mais est-ce sa faute si Joseph a le désir collé à la colère, l'un aiguisant l'autre...? Ah les éclairs dans ses yeux et quel cataclysme quand, la maison vidée de ses enfants, après les cris et les assiettes fracassées, la tempête allait finir où elle pouvait..Mais toujours dans le même émoi: celui du début, celui de leur jeunesse.


Amanda, c'est toute une femme. Être mère, être épouse dans la béate résignation, dans l'extinction de ce qui la rend ardente non jamais, non. Le temps s'en chargera bien. La vieillesse la prendra elle aussi comme les autres. Mais pas avant son temps, non pas avant.


Amanda Bourdon joue de l'accordéon pour se consoler de la vie qui va trop vite, du plaisir qui coûte si cher, de tous les rêves échoués ici à Montréal où le fleuve se cache la face, perdu dans une forêt de cheminées crachant des humeurs mauvaises.


Amanda tire une bouffée de sa pipe. Elle regarde la fumée danser et s'évanouir. Elle se racle la gorge, s'envoie un petit gin pendant que l'accordéon repose sur sa cuisse comme un animal essoufflé. Depuis que Joseph est dans la terre, son coeur fait des siennes, ses jambes ne la supportent plus. Allez, encore un air pour engourdir le mal, faire revenir à la surface de la mémoire les joies et des peines englouties, emboîtées l'une dans l'autre comme des noyés dans un dernier embrassement :


 L'amour est un petit bateau

qui s'en va joyeux sur l'onde

voguant vers des pays nouveaux

Nos deux coeurs

y feront le tour du monde

Adieu notre petit bateau

plus d'amour

plus rien que des flots.

C'est la nuit

et déjà l'orage gronde.

Adieu bonheur, beaux jours

souvenirs,tendres bécots

Adieu notre petit bateau

Charles Trenet 1937



Amanda Bourdon ne joue plus. Son accordéon s'est exilé en haut de l'armoire, sur la tablette à chapeaux. Aujourd'hui elle reçoit de la visite. On lui a mis sa belle jaquette bleue, coiffé ses cheveux, ajouté un oreiller pour bien la caler dans son lit qu'elle ne quitte plus. Marcel, son plus fin et sa femme viennent lui présenter leur petite dernière, née il y a un mois à peine à la même date qu'elle. C'est comme un cadeau de Noël avec un peu d'avance, ce petit paquet de vie serrée entre ses bras. Depuis longtemps déjà, elle a perdu le compte des petits-enfants, mais celle-là... elle sera la dernière... de son vivant.


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